L’innovation technologique: Moyens et Méthodes
L’objectif de la recherche scientifique est d’améliorer nos connaissances ; celui de l’innovation technologique est, au moyen d’entreprises, de nous apporter des satisfactions en assouvissant nos besoins. L’innovation technologique constitue un levier remarquable pour la création de valeur. Un exemple : la société SNF, créée en 1978 par seulement un ingénieur chimiste et un diplômé d’une école de commerce pour développer de nouvelles utilisations de dérivés du polyacrylamide, a atteint un chiffre d’affaires de
1,6 milliards d’euros en 2011 avec des floculants pour le traitement des eaux usées… Un manager rappelait récemment que « nous devons faire des bénéfices pour continuer à innover, une collectivité peut d’autant plus financer en amont de la recherche scientifique que ses entreprises réussissent des innovations technologiques. »
L’innovation technologique
Types et cycles de vie
On considère ici les seuls produits réellement nouveaux dans leurs caractéristiques ou dans leurs fonctions. En simplifiant, on peut distinguer un premier type d’innovation technologique basé sur le transfert de technologie qui consiste à appliquer à un nouveau domaine une technologie existante, comme par exemple l’utilisation des piles au lithium initialement conçues pour des PC à des véhicules électriques. Le second type utilise pour la première fois des connaissances spécifiques provenant de la recherche scientifique, par exemple des catalyseurs métallocènes pour fabriquer des thermoplastiques davantage utilisables dans
l’industrie automobile.
Une innovation technologique a une vie spécifique. Prenons un exemple : Henri Guerin est ingénieur chimiste ; il observe que l’utilisation de peinture sur des volets en bois de sa maison i) nécessite beaucoup de préparation de surface astreignante et coûteuse en main d’œuvre pour enlever la peinture craquelée, ii) n’apporte pas de protection en profondeur contre les micro-organismes. Lui vient alors l’idée d’un produit qui, lui, imprégnerait le bois et ne produirait pas de film en surface : le lasure. Il fait de la « veille technologique » pour confronter ce besoin visionné à ce qui été publié,
effectue des essais, confie des échantillons à un artisan peintre ami, discute « prix » avec un voisin, patron d’un magasin spécialisé pour le bâtiment. Henri Guerin se pose les bonnes questions essentielles : peut-on fabriquer industriellement le produit avec les équipements existants ? À quel coût ? Y a-t-il un nouveau marché ? Quel serait le chiffre d’affaires prévisionnel cumulé ? Quels sont les risques technologiques et commerciaux ? Le combat pour ce nouveau produit en vaut-il la peine ?
Henri Guerin décide de créer une équipe pour fabriquer le lasure. Il fait appel à son réseau relationnel pour trouver des capitaux, ce qui lui permet de disposer d’un outil de production et de commercialisation. Les ventes décollent et l’activité devient bénéficiaire, événements représentés sur la figure 1.
Observant l’irruption de ce nouveau produit (P1), des fabricants de peinture mettent sur le marché des produits concurrents (P2, P3), avec pour effet le ralentissement des ventes de P1. Henri Guerin décide sur la suggestion d’un de ses commerciaux de substituer au produit liquide P1 qui coule trop facilement, un produit « gélifié » plus facile à utiliser (P’) : les ventes redémarrent. Quelques années plus tard, compte tenu des préoccupations environnementales, il remplace les hydrocarbures de la formulation par un mélange
hydrophile, à moindre odeur (P’’), ce qui est apprécié par le marché.
Mais un jour, son « nouveau produit » sera lui aussi dépassé.
Stratégies
Henri Guerin a choisi une stratégie de leader. Ses concurrents ont choisi de facto de suivre le leader, en espérant profiter de ses erreurs et le copier. Le cas développé ici est un exemple idéal, car de nombreuses tentatives tournent court, y compris dans des entreprises
ayant eu précédemment de brillants succès. C’est ainsi que DuPont®, à qui on doit le Nylon®, se basant sur une crainte de pénurie de cuir dans le monde, a lancé vers 1967 sur le marché le Corfam qui, lui, n’est plus fabriqué. C’est qu’en effet pour réussir une innovation technologique, il est nécessaire de disposer des moyens appropriés, mais aussi d’utiliser des méthodes rappelées sur la figure 2. Quant aux étapes, on s’en doute, elles sont en fait moins séquentielles. Le processus d’innovation n’est jamais fini ; dans une entreprise particulièrement innovatrice comme SNF, des dizaines de nouveaux produits sont mis chaque année sur le marché, pour un catalogue de mille produits. L’innovation technologique n’a lieu que si elle est portée par un inventeur, esprit non conformiste, qui transcende
l’état actuel des connaissances techniques et du marché, et un développeur, qui effectue la symbiose entre le techniquement possible et le socio-économiquement désiré − ces fonctions pouvant d’ailleurs se retrouver chez une seule personne ayant une santé de fer et une capacité de travail prolongé. Il faut certes des hommes spécifiques, mais aussi, on s’en doute, un patrimoine et un savoir-faire technologiques efficaces, à la condition qu’ils œuvrent dans une structure innovatrice. Cette dernière est caractérisée par une stratégie
tournée vers l’innovation technologique. Elle doit savoir faire collaborer des êtres ayant des qualités quelque peu antinomiques : l’hyperspécialisation et une vaste culture, le sens de la performance technologique et le sens économique, le goût du risque et la prudence, la célérité et la patience, le sens de la communication et celui du secret.
Les perspectives de création de valeur importante rappelées ci-dessus attirent des investisseurs tels les « business angels » et autres ventures capitalistes qui peuvent aussi apporter des contacts commerciaux comme le premier client… Ils savent bien que « no risk, no reward ». En effet, si toute activité économique implique un risque, ce dernier est amplifié, on s’en doute, lorsque de surcroît s’ajoute à l’incertitude commerciale le risque technologique inhérent à l’innovation technologique. Par exemple, sera-t-il possible d’obtenir au stade de l’exploitation les résultats techniques obtenus au stade du laboratoire, voire même du pilote ?
Pour abaisser le risque inhérent à l’innovation technologique, il faut utiliser les méthodes mentionnées sur la figure 2, à savoir :
– la prévision technologique, en observant en particulier ce qu’il se passe dans des branches industrielles davantage high tech ;
– le marketing du nouveau produit, en restant vigilant vis-à-vis des études menées de façon incomplète, biaisée…
– l’élaboration d’un plan plus ou moins formalisé dans lequel la démarche prospective est associée à l’extrapolation de tendances utilisées pour le court terme ;
– la publicité du nouveau produit, qui peut bénéficier de l’aide gracieuse de nombreux supports autres que les médias ;
– la protection du patrimoine technologique par le secret et par les outils de « propriété industrielle » : pli cacheté (qui protège le droit d’exploiter sans divulgation d’informations), demande de brevet d’invention (dont l’inconvénient est une divulgation, certes avec un décalage intéressant), de modèle, marque. Ces biens immatériels peuvent faire l’objet de cessions ou de concessions. Il est avisé dans ce domaine à la frontière du droit et de la technologie de faire appel à des « conseils en propriété industrielle ».
On pouvait lire le 28 mai 1890 dans La Dépêche de Toulouse : « […] ce qu’ils veulent avant tout c’est gagner la bataille […] ils sont heureux […] que leur peine ardente […]
n’est pas perdue, qu’il y a un résultat positif palpable » [1]. Il est opportun aussi de citer Keynes, banquier avisé :
« La plupart des décisions à effectuer quelque chose de constructif proviennent d’un élan vital, c’est-à-dire d’un ardent désir d’action et non pas du produit d’un calcul. »
C’est une raison supplémentaire pour utiliser les méthodes brièvement rappelées ici, d’une part pour choisir les projets d’innovation technologique les plus prometteurs, d’autre part pour diminuer le risque inhérent à la transformation d’une idée technologique en un nouveau produit.
D’une manière générale, l’amélioration de notre vie quotidienne dépend de leur mise en œuvre. Innovons plus, mais innovons mieux ! [1-2].
[1] Pichat P., L’innovaction, Chotard Ed., 1989.
[2] Pichat P., Innovez plus, innovez mieux, Chotard Ed., 1992.
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